Lettre ouverte d’un dirigeant d’ETI de l’industrie navale française

4 décembre 2020 | Actu adhérents

Lettre ouverte d’un dirigeant d’ETI de l’industrie navale française

La construction navale est un maillon essentiel de la souveraineté militaire et civile de la France. Sur la mer et sous la mer, dissuasion, protection des frontières, câbles sous-marins, énergies fossile et renouvelable, pêche, continuité territoriale et transport de marchandises, partout notre industrie oeuvre pour l’indépendance de notre pays.

Orange Marine, filiale d’Orange dont l’Etat est l’actionnaire de référence, vient de faire le choix de construire son futur navire au Sri Lanka. Au moment même où la société japonaise Bridgestone décide de fermer son usine de Béthune, une participation de l’Etat décide d’investir cinquante millions d’euros dans un chantier naval Sri Lankais à capitaux japonais. La France n’est donc pas rancunière. Mais pourquoi cette décision ?

Les chantiers français sont-ils incapables de construire ce type de navire ? Évidemment non, l’industrie navale française construit et a construit des navires bien plus complexes.

Les chantiers français sont-ils capables de construire ce type de navire, en France, au prix du marché mondial ? Malheureusement non, les coûts de main d’oeuvre sont cinq fois plus élevés en Europe de l’Ouest qu’en Asie.

Alors l’industrie française doit-elle renoncer quand la compétition mondiale fait rage et que seul le coût du travail guide les choix de certains investisseurs ? Surtout pas, et surtout pas maintenant, au moment où l’Etat prône à juste titre la résilience, c’est-à-dire la capacité à rebondir après une période difficile, au moment où la pandémie nous montre nos fragilités et prépare des drames économiques et sociaux.

Alors était-il possible d’intégrer une part française dans un tel projet, oui bien sûr, encore fallait-il le vouloir !

Quel est le prix à payer pour notre résilience et par voie de conséquence pour notre souveraineté ? Dans ce cas précis l’écart de prix était inférieur à 5%.

Comment être résilient en restant compétitif en France et en Europe ? Chez Piriou nous avons fait le choix d’ouvrir un chantier naval au Vietnam en complément de nos sites français. Cela a-t-il réduit nos emplois en France ? Au contraire, depuis 2008, date de la création de Piriou Vietnam nous avons plus que doublé nos effectifs dans l’hexagone. Nous y avons conservé notre savoir-faire et nos bureaux d’études, donc notre capacité à innover et à faire travailler des fournisseurs français et européens. Dans le cas présent, cette commande aurait représenté plus de 100.000 heures de travail et le maintien d’une compétence industrielle stratégique en France, sans compter les prestations de nos fournisseurs et sous-traitants français et européens, constituant une part de près de 25 % de la valeur du contrat. C’est vrai, 25% c’est peu, mais c’est mieux que 0%.

De façon générale, les Administrations et les collectivités publiques ont bien compris les enjeux et oeuvrent dès à présent pour le maintien de l’industrie française, je les en remercie. Ces préoccupations doivent maintenant être partagées par tous et s’inscrire dans la durée.

Alors comment faire pour réconcilier la compétition mondiale et la compétitivité de nos entreprises ? En innovant bien sûr, mais ce n’est malheureusement pas suffisant. Il faut aussi que les mentalités et les usages évoluent et que l’on intègre dans les critères d’évaluation des appels d’offres et dans l’utilisation des fonds publics la notion de valeur ajoutée Française et/ou Européenne. Aujourd’hui trois éléments principaux guident les choix : le prix, la technique et la RSE. Le moment me semble opportun pour agir et faire intégrer un quatrième critère, la « part France / Européenne ».

Non, la préférence nationale ou européenne n’est pas un gros mot, c’est même la clef essentielle à la résilience de l’industrie.

Le Président de Piriou que je suis est évidement déçu, mais ce n’est pas grave. En revanche le citoyen et contribuable que je suis également est très inquiet par l’absence de vision, à moyen et à long terme, que révèlent de telles décisions.

Concarneau, le 03 décembre 2020
Vincent Faujour
Président de Piriou

www.piriou.com